« Je vais te garder du fumier de côté, lance Jean-Philippe, éleveur de bovins allaitants, à son frère. Ça te servira pour nourrir la terre de la serre en ce début de printemps ! » Avec Marc, son cadet, ils se comprennent sur l’instant.
Cette serre maraîchère, que ce dernier a entièrement créée, se trouve en dehors de l’exploitation agricole, entre les murs d’un centre pénitentiaire du nord de la France. Formateur-agriculteur, Marc enseigne aux détenus les principes du maraîchage et est à l’origine d’une formation dédiée en vue de leur réinsertion.
Former : une vocation
Tout démarre dans un petit village des Hauts-de-France pour les deux frères. « Nous nous sommes installés à la fin des années 1980 sur l’exploitation familiale, en nous diversifiant dans l’élevage de lapins, conjointement à celui des vaches, sur une quarantaine d’hectares. » Une structure à taille humaine qu’ils ont souhaité préserver et qui leur a permis à tous les deux de devenir formateurs, tout en étant paysans.
« C’est une vocation. On aime aider, découvrir, échanger avec les gens. Il est important pour nous d’avoir une activité à l’extérieur de la ferme », fait part Jean-Philippe. Une ouverture professionnelle à travers laquelle les double-actifs partagent leurs savoir-faire et connaissances auprès de publics divers. « Associations, organismes privés ou d’État font appel à nous pour réaliser des remises à niveau, accompagner à l’obtention de titres professionnels, apprendre les techniques de base du bâtiment ou de l’entretien paysager. », explique-t-il.
Les premiers liens de Marc avec le milieu carcéral se font d’ailleurs dans le parc de l’abbaye du Gard, située à Crouy-Saint-Pierre, dans la Somme. « J’ai formé au jardinage durant plusieurs semaines des personnes en semi-liberté, bénéficiant d’un aménagement de peine pour préparer leur réinsertion, explique-t-il. Il y avait un petit potager que nous cultivions et auquel nous nous étions attachés. »
Suite à cette expérience, l’agriculteur tombe sur une annonce et franchit le pas. « Un centre pénitentiaire cherchait un formateur depuis quelques temps et ne trouvait pas de candidat. Je me suis lancé… »
Réinsertion : des stagiaires volontaires
Depuis 2014, Marc a donc fait de la prison son lieu de travail, à l’instar des champs et du grand air de la campagne. Il est formateur itinérant dans différentes structures des Hauts-de-France. Se détachant progressivement de la ferme pour s’impliquer dans les ateliers qu’il propose, le Nordiste a imaginé et conçu en 2020 une formation au maraîchage.
« Adaptée et encadrée, elle a pour but d’initier à la culture de légumes et de plantes. Nous faisons pousser tomates, pommes de terre, haricots verts, radis et autres légumes au sein même d’un établissement pénitentiaire. » Après la récolte, la production prend la direction de l’atelier cuisine de la prison. Au fil des saisons, Jean-Philippe, lui, fournit à son frère de la paille issue de la ferme ou des graines pour alimenter le sol.
« À mes côtés, l’espace d’un instant, les prisonniers ont un statut de stagiaires. Ils sont sélectionnés sur la base du volontariat, poursuit Marc. Entrer dans cet univers marque profondément. Mon objectif est que les condamnés se réadaptent à une vie sociale. Grâce à l’agriculture, ils se responsabilisent, en vue de leur levée d’écrou, et gardent un contact avec la nature malgré l’enfermement. » La main tendue de deux agriculteurs au grand cœur.
*Les prénoms ont été modifiés.